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Infusion ou café frappé ?
26 janvier 2013

Deux portraits de l'Amérique

J'évoquais il y a quelques mois déjà sur ce blog le ralentissement de ma consommation de culture en général - et de littérature en particulier - du fait de nouvelles responsabilités sur le front de ma vie familiale. Je suis soulagée d'annoncer que j'ai retrouvé l'appétit (et le temps de cerveau disponible) pour renouer avec l'une de mes plus anciennes amours : la littérature anglo-saxonne.

Il m'a semblé intéressant de chroniquer ensemble deux très bons romans, dont les auteurs ont des parcours diamétralement opposés. Jöel Dicker a remporté à 27 ans le prix Goncourt des lycéens pour La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Donald Ray Pollock, l'auteur du sombre Le diable, tout le temps, n'est entré en littérature qu'à la cinquantaine, après 30 ans de travail dans une usine de pâte à papier.

La-verite-sur-l-affaire-Harry-Quebert-de-Joel-Dicker-Fallois-L-age-d-homme_referenceJe tiens tout particulièrement à remercier Joël Dicker pour m'avoir remis le pied à l'étrier. J'ai dévoré son roman comme cela ne m'était plus arrivé depuis une bonne année. Comme on dit dans le jargon, ce roman est un véritable "page turner" émaillé de rebondissements et de revirements qui laissent le lecteur haletant.

Que dire de L'affaire ? Il s'agit d'un gros pavé à l'ambition littéraire affichée, qui sous couvert d'enquête policière s'attache à décrire les moeurs d'une petite ville américaine, et les affres de la création littéraire. Le jeune écrivain prodige Marcus se trouve mêlé à une sordide histoire lorsque son professeur et mentor Harry Quebert est soupçonné du meurtre d'une adolescente dans les années 1970.

Bien sûr, l'affaire n'est pas aussi simple, et en voulant restaurer l'honneur de son ami et découvrir la vérité, Marcus va mettre au jour les travers et secrets des habitants de la ville du crime, qui ont tous un rôle à jouer dans l'histoire. Il règne à Aurora une atmosphère "Twin Peaksienne" assumée et évidemment, les apparences ne peuvent être que trompeuses.

joel_dickerCette première intrigue policière est le prétexte d'une réflexion sur l'écriture, le syndrôme de la page blanche, la crise de créativité qu'un bon nombre (tous ?) d'écrivains rencontrent à un moment de leur carrière. Joël Dicker se demande : "Comment naissent les grands romans ?" et entraîne son lecteur dans des réflexions très intéressantes sur ce qu'est l'inspiration et sur le côté imposteur de l'écrivain.

J'ai été impressionnée par la capacité de Dicker à jongler avec les intrigues et à construire un roman complexe. Je reprocherais juste quelques traits parfois un peu caricaturaux et le manque de subtilité de certains personnages de "second rôle". Malgré cela, l'auteur a les qualités d'un beau parcours littéraire.

Donald-Ray-Pollock-Le-diable-tout-le-tempsLe diable, tout le temps : autre époque, autres histoires, mais toujours ancrées dans une certaine Amérique des petites villes et des petites gens. Contrairement à l'Affaire, les personnages de Pollock sont âpres et ne verbalisent pas (encore moins n'écrivent !) les sentiments qui les animent : ils tuent et se tuent.

Ce roman suit les parcours croisés de plusieurs personnages : un jeune orphelin prêt à en découdre, un shériff véreux, un pasteur accro au sexe, un prédicateur illuminé et un couple de tueurs d'auto-stoppeurs. Leur histoire sent la sueur, le sang, le stupre et des relents de mauvais alcool ingéré en fortes doses.

La force de l'auteur, c'est de réveiller la pitié du lecteur pour ses personnages, qui malgré leurs vils agissements, restent de subtils modèles d'humanité. Pollock interroge aussi le rapport à Dieu, à la foi, et aux déviances le long de cette ligne de conduite vertueuse.

pollockBref : le lecteur n'est pas épargné, et la prose de l'auteur magnifie les parcours chaotiques de ces paumés de l'Amérique profonde, dont les rêves sont brisés dès le départ et dont on sait l'issue fatale. On s'attache malgré nous à ces laissés pour compte, ces loosers qui tentent de tirer leur épingle d'un jeu sans joker ni porte de sortie. Le diable se fait rattraper par le bras vengeur du justicier, mais il n'y a pas vraiment de gagnants dans cette bataille.

Je recommande vivement Le diable, tout le temps, même si j'ai conscience que la chronique ci-dessus pourrait en rebuter certains. C'est un grand roman, qui m'a lui aussi tenue en haleine et que j'ai eu beaucoup de plaisir à lire, malgré la souffrance et le désespoir qui émanent de ces personnages.

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Commentaires
A
Très bonne chronique sur "La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert" que je viens également de terminer. <br /> <br /> <br /> <br /> Je suis tout à fait d'accord sur ton analyse, et plus que l'intrigue en elle-même et ses multiples ramifications (ici, Laura Palmer s'appelle Nola Kellergan), c'est la construction narrative du roman qui en fait sa spécificité. La signification de chaque scène est systématiquement remise en cause à mesure que l'on avance dans l'enquête et que l'auteur nous la décrit du point de vue d'un nouveau personnage. Les divers degrés de mise en abime (le livre dans le livre dans le livre...) ainsi que les conseils de l'écrivain aguerri au jeune prodige sur la structure d'un roman chapitre par chapitre - eux-mêmes reproduits au début de chaque chapitre - en font une oeuvre remarquable. <br /> <br /> <br /> <br /> Si ce n'est pas forcément la preuve d'un auteur au style exceptionnel - mais assumé, cela dit - c'est bien la preuve d'un recul certain sur son art, inhabituel pour un jeune auteur qui n'en est, rappelons-le, qu'à son deuxième roman.
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